Fiscaliste à New York, François-Xavier Demaison assiste au choc du 11 septembre. Bousculé par le drame, il envoie balader sa carrière prometteuse pour renouer avec ses rêves d’enfant, devenir comédien, faire le clown. Et donner un sens à sa vie. FXD a-t-il inventé le rêve français ? Interview.
TPC : Le public rit beaucoup pendant vos spectacles. On a du mal à vous imaginer dans votre vie d’avant.
Moi aussi j’ai du mal à l’imaginer ! Je me demande comment j’ai pu tenir si longtemps. À 25 ans, j’ai une maîtrise de droit, je suis diplômé de Sciences-Po, déjà marié et j’avais suivi le cours Florent. J’avais vécu en accéléré un début de carrière professionnelle et je pouvais déjà changer de vie. J’ai eu la chance de faire ma crise de la quarantaine à 30 ans.
TPC :Votre changement, est-ce uniquement le choc du 11 septembre ?
J’ai toujours eu la passion du spectacle. Petit, je faisais le clown dans la cour de récré. Je rêvais de devenir acteur mais j’avais peur d’en faire mon métier. Je me suis conformé à mon environnement. Je croyais qu’être adulte, c’était porter un costume cravate, avoir des horaires de bureau et un boulot de notable. Je suis allé chercher la réussite matérielle et sociale en intégrant Sciences-Po et en partant à New York. Je me suis aperçu en douceur que j’étais insatisfait. Je me sentais à côté de ce que je suis profondément : un acteur qui a besoin de la scène comme on a besoin d’oxygène. Le 11 septembre a joué le rôle d’accélérateur. Peu après, j’ai décidé de tout plaquer.
TPC : Que s’est-il passé ensuite ?
J’étais devenu un bureaucrate froid qui prenait tout sur lui. Le choc a réveillé ma sensibilité qui était un peu enfouie et a décuplé ma créativité. J’ai commencé à écrire des textes là-bas. Quand je suis rentré à Paris, j’avais déjà un début de spectacle. Grâce à l’aide de mon ancien professeur du cours Florent, j’ai monté un showcase au Gymnase. Malgré des textes un peu emmêlés et pas très aboutis, Samuel Le Bihan a eu l’envie et l’énergie de me produire. Ensemble on s’est pris des coups dans la gueule. Je n’avais plus de boulot, lui démarrait dans la production. On a vécu l’expérience des salles vides. Au fur et à mesure on a modifié et affiné le spectacle pour lui donner plus de rythme. À partir du théâtre des Mathurins, on n’a plus arrêté de remplir les salles. On fait le plein tous les soirs au Casino de Paris et tout le métier est venu me voir. Ça, c’est vraiment génial ! Mon spectacle m’a offert une vitrine magnifique. Le cinéma est venu me chercher.
TPC : Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter votre histoire ?
C’est la première chose que j’ai pu faire. Au départ, j’ai commencé à bosser un personnage. Puis j’ai pris conscience que mon histoire n’était pas commune. Elle drainait pas mal d’espoir et de sympathie. Ce n’est pas du nombrilisme. Juste un prétexte pour que les gens s’identifient. Je les entraîne dans un monde qui va de New York à Vierzon. Cette dimension de vécu touche les spectateurs. Je pense que ça a été une des clés du succès. Le but étant quand même de se payer une franche rigolade à travers la rencontre avec des personnages qui partent en vrille. L’histoire s’articule autour d’une colonne vertébrale : un petit Français expatrié de 27 ans dans un bureau qui décide de changer de vie. Mais attention, pas un golden boy qui peut se payer une tour à Manhattan, comme j’ai pu le lire parfois. Il gagne bien sa vie, porte des costards et se la pète un peu, c’est tout.
TPC : Vous vous la pétiez ?
Non. Oui. Enfin j’étais jeune. (Il sourit) J’étais pas con au point de me la péter vraiment. Mais j’étais content de moi, je me sentais arrivé. Pas de remise en question juste une légère insatisfaction qui montait. Quand les tours se sont effondrées, j’ai ressenti un vide énorme qui m’a fait basculer.
TPC : Il y a une galerie de personnages sacrément déjantés dans votre spectacle. Existent-ils vraiment ?
L’histoire est un peu romancée ! Je ne connais pas de petit Bitou, aucun castor qui parle dans ma vie (Il rit franchement). Ou alors il faudrait que je prenne des substances illicites. D’ailleurs, ce petit personnage remporte tous les suffrages. Il sort de mon imaginaire et de celle de l’équipe avec laquelle j’écris. De nos délires sont nés bien d’autres personnages.
TPC : Et le coach du séminaire de réorientation professionnelle ?
En revanche, lui existe. Enfin, c’est une caricature de toutes ces personnes qui vous accueillent à 8 heures le matin, (il prend la voix du personnage du spectacle), « autour d’un café fédérateur. On va échanger sur la continuité de l’entreprise, sur les chiffres, sur la manière dont on peut mener ensemble un moment d’échange et de partage pour une meilleure productivité et de meilleures performances des forces vives de l’entreprise ». Tous ces séminaires où les discours et la forme l’emportent sur le fond. Je suis incapable de vous dire ce qui se racontait pendant ces séminaires que j’ai suivis lorsque j’étais fiscaliste, mais c’est une imposture totale ! Ce côté obséquieux du type qui vous balance des saloperies avec le sourire et vous parle, (il reprend la voix de son personnage) « de respect de l’autre ! ».
TPC : Vous évoquez souvent la question du changement dans vos propos, pourquoi ?
Pourtant je n’ai changé qu’une fois pour l’instant. Dans dix ans j’aurai peut-être une épicerie de produits issus du commerce équitable dans le sud de la France (Il rit). On verra. En fait, je change de peau facilement parce que je pense être multiple. Pas dans le sens schizophrénique ou pathologique du terme ! Cette multiplicité me permet de m’adapter à plein de situations. Ça m’aide à tenir les personnages que j’interprète et à trouver la sincérité et la justesse en eux. C’est aussi ce qui me donne envie de toucher a tout, d’explorer.
TPC : Comment expliquez-vous l’unanimité de la presse et du public à votre sujet ?
Très peu de personnes ne m’aiment pas en effet. Je dégage quelque chose de positif. Pourvu que ça dure ! (Il rit). Ce que je propose n’est pas du comique de chapelle. Ça fait rire le CSP+ (ndlr : Catégorie socioprofessionnelle supérieure) et l’ouvrier. Parfois à des moments différents, mais au final, tout le monde adhère. Généralement, celui qui n’aime pas c’est le mec qui est mal dans sa peau. Quand c’est le cas, c’est comme un aveu. (Il prend la voix grave de présentateur) « Si tu es bien dans ta peau, tu aimeras ce spectacle ! Si tu es en guerre contre toi-même, que tu as étranglé un enfant, tu es susceptible de ne pas l’aimer ! » (Il rit)
TPC : Et vous, vous êtes bien dans votre peau ?
Je suis très angoissé. Je bosse énormément, je dors très peu. J’ai plusieurs vies. Les années précédentes par exemple, je tournais au cinéma en journée, je jouais une pièce à 20h30, et j’étais sur scène à 22 heures pour mon one man show. À minuit, il fallait encore que j’assure car des gens venaient voir mon spectacle, donc ensuite je dînais. Je rentrais chez moi vers deux heures du mat’. J’ai largement enquillé . Fulgurant ! Je suis souvent angoissé car je veux proposer de la qualité, faire les bons choix. Ne pas décevoir pour que ça dure. On me place à un niveau qui fait qu’on me regarde en se demandant si je mérite vraiment d’être là. Le succès vient aussi du travail en amont, le texte, la mise en forme… Je n’ai pas claqué des doigts. Ça n’est pas un conte de fées !
TPC : Finalement, votre vie actuelle n’est pas moins stressante qu’à New York ?
Oui mais je n’étais pas heureux, alors qu’à présent je me sens moi-même. Certes, je suis plus exposé et à chaque fois que je monte sur scène je suis en première ligne. C’est à chaque fois une question de vie ou de mort car si je n’ai pas l’amour du public, j’en crève. J’ai fait un cauchemar cet été où je me produisais et les gens n’appréciaient pas du tout mon spectacle. Un vrai bide. Ça m’a marqué au plus haut point !
TPC : Entre le moment où vous quittez New York et vos premiers succès, vous dites-vous « j’ai fait une connerie » ?
Oui. Parfois ça a été dur. Humiliant surtout. Pendant deux ans, ça a été le black-out financier. Je gagnais 200 euros par mois, j’empruntais du fric à tout le monde, c’était dramatique. Je pouvais même pas me payer un resto, je n’avais pas de quoi payer mon loyer. J’ai socialement chuté quand j’ai tout plaqué. Les gens me regardaient comme si j’étais fou. Alors que j’étais comme une merde, je m’entendais dire « tu es en pleine déshérence mon pauvre ami » par un mec chargé de clientèle dans une banque. C’était vraiment méprisant. Aujourd’hui, je gagne très bien ma vie, mieux qu’avant et j’ai une position qui est beaucoup plus valorisante qu’à l’époque. Alors ce chargé de clientèle qui vient faire la queue dans ma loge aujourd’hui au casino de Paris, je le fais pas monter. (Il rit)
TPC : Comment il s’appelle ?
Jxxx-Pxxxxx Bxxxxxxx, (Il l’imite) « Oh non , pas sur toutpourchanger ! » (Il rit)
A suivre… Les conseils de François-Xavier Demaison pour changer de vie
bravo!