La France promeut encore un modèle de la famille dans laquelle la femme endosse le rôle de la « femme au foyer active », dans lequel elle assume des activités domestiques et professionnelles. Le soutien à la maternité mis en place pour favoriser l’emploi des femmes tend à maintenir des barrières subtiles enracinées dans des stéréotypes et des rôles sociaux traditionnels.
Katia Richomme-Huet, Kedge Business School et Virginie Vial, Kedge Business School
En France, alors que la parité est aujourd’hui globalement acquise dans la population active, le nombre de femmes entrepreneurs continue de stagner depuis une trentaine d’années, avec un tiers des créations d’entreprise. Pourtant, cela fait maintenant près de 20 ans que s’imaginent et se déploient de multiples démarches pour soutenir les femmes, notamment par le biais de mesures nationales, de politiques publiques et familiales proactives et incitatives.
Pour mieux comprendre cette réalité entrepreneuriale, nous avons réalisé une étude sur une cohorte de près de 50 000 entrepreneurs, âgés en moyenne de 43 ans et répartis sur la France entière.
Au-delà des chiffres, une situation préoccupante
Les premiers résultats descriptifs valident la part des femmes entrepreneurs à 31 %. Mais ils montrent également la difficulté d’être mère et entrepreneur : tandis que 57 % des entrepreneurs ont des enfants, seuls 18 % sont des mères. Il semble que l’égalité hommes-femmes face aux contraintes du « care » (le soutien à autrui) demeure une utopie !
De fait, la France promeut encore un modèle de la famille dans laquelle la femme endosse le rôle de la « femme au foyer active », dans lequel elle assume des activités domestiques et professionnelles. Le soutien à la maternité mis en place pour favoriser l’emploi des femmes tend à maintenir des barrières subtiles enracinées dans des stéréotypes et des rôles sociaux traditionnels.
La maternité, un élément à charge
Dans le contexte institutionnel national et régional français, nous avons testé l’impact de la maternité sur les trois éléments centraux pour la réussite entrepreneuriale que sont les accès au marché et à la monnaie (au financement), ainsi que les compétences en management.
Par rapport à l’accès au marché, les mères restent cantonnées à des activités historiquement à prédominance féminine. Elles se restreignent en effet généralement à deux grandes catégories statistiques, « vente, transports et restauration » et « autres services », dans laquelle sont notamment classés les activités liées au commerce du soin à autrui.
Notre étude relève également que les mères intègrent peu le secteur de l’innovation. Pourtant, être femme a un impact positif fort en termes de produits et/ou de services innovants. Plus intéressant encore, être mère renforce même l’innovation dans le produit et le service, comme l’illustre le phénomène des mampreneurs.
Concernant la monnaie, les femmes sont réputées avoir un accès réduit au financement bancaire. Or, elles sont systématiquement moins confrontées à des difficultés de remboursement que les hommes, bien que leur part d’emprunt pour l’investissement initial ne soit pas plus important. Concernant le management, du fait du plafond de verre, les mères sont notoirement peu présentes dans des postes de management (à l’exception des RH et de la communication), secteurs davantage féminisés dans les entreprises). Pourtant, les femmes entrepreneurs évoquent systématiquement moins de difficultés de gestion que les hommes, tout en utilisant beaucoup moins de services payants externes. Les mères souffrent donc avant tout d’un manque d’expérience dans des postes à responsabilités managériales malgré leurs compétences de gestionnaire.
Il existe donc bien de réelles différences significatives entre les hommes, les femmes et les mères pour chacun des trois éléments centraux de la réussite entrepreneuriale.
Et au-delà ?
Notre étude confirme que, malgré un changement positif du contexte institutionnel pour les femmes et leur propre évolution professionnelle, les secteurs d’activités et les capacités d’innovation demeurent genrés. Le choix du métier et la façon de le développer reposent toujours sur un construit social plus que sur des caractéristiques individuelles.
Néanmoins, ce construit se transforme à l’initiative même de ses acteurs. Détournées du secteur innovant centré sur la sphère « économique », les femmes osent une approche alternative plus globale, en améliorant la sphère « sociale ». Ce faisant, elles proposent une nouvelle perspective à l’entrepreneuriat.
Nous préconisons en conséquence d’accentuer les politiques de soutien, en les combinant aux autres politiques familiales afin d’aider les femmes à prendre confiance et à ne pas s’autolimiter.
De même, il est important d’instaurer de profonds changements dans le monde entrepreneurial en éliminant les barrières artificielles créées par les mesures classiques de la performance et de la réussite. Il s’agit d’en créer de nouvelles, englobant un plus large éventail de réalités, notamment celles des femmes et des mères, car parier sur les qualités des femmes pourrait certainement bénéficier à l’entrepreneuriat féminin, à l’entrepreneuriat en général et au reste de la société.
Katia Richomme-Huet, Professeur en entrepreneuriat, Kedge Business School et Virginie Vial, Professeure d’économie, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.