L’une des clés de la réussite en télétravail est de bien séparer les temps de vie privée et de vie professionnelle. Un exercice très difficile actuellement. Surtout avec des enfants dans les parages !
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Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, IÉSEG School of Management
Si le recours au télétravail a longtemps stagné en France, il s’est soudainement accéléré avec l’épidémie, engendrant de nouveaux défis et problématiques liés au caractère sans précédent de la crise que nous vivons. Le contexte est inédit. Des différences majeures existent ainsi entre les situations normales de télétravail et les spécificités de ce mode d’organisation dans la situation de crise que nous connaissons actuellement.
La crise actuelle met en exergue le manque de préparation dans la mise en œuvre du télétravail : le télétravail se pense, s’apprend, et s’organise (tant du côté du manager que du managé). Ici, nous n’en avons pas eu le temps. Le télétravail a été adopté à brûle-pourpoint, à grande échelle, pour des collaborateurs qui n’y étaient pas forcément préparés, dans des entreprises qui ne l’avaient pas forcément expérimenté auparavant, dans un contexte anxiogène, et dans une situation où il n’y a pas de solution de repli pour la garde d’enfants.
L’imbrication des temps personnels et professionnels, qui est déjà complexe en temps normal, et qui a d’ailleurs toujours été une question épineuse en matière de télétravail, revêt ainsi une acuité encore plus forte dans le contexte actuel, qui nous impose un mélange problématique entre vie professionnelle et personnelle au lieu de la conciliation normalement attendue en situation de télétravail.
Télétravail subi
En temps normal, le télétravail est vécu comme un mode d’organisation du travail donnant plus de liberté, d’autonomie, et de flexibilité au collaborateur, lui permettant de mieux concilier ses impératifs personnels et professionnels. Le télétravail repose normalement sur une volonté du salarié (en accord avec son entreprise et sa hiérarchie) répondant à des objectifs et des aspirations bien définis.
Dans le cas présent, le télétravail n’est pas vraiment choisi (même si c’est bien sûr un moyen inestimable de se protéger). Nous y sommes forcés, contraints par la situation, pour une durée longue et encore incertaine, nous imposant ce mélange des genres professionnel et personnel… Cette organisation subie, cette cohabitation non choisie, peut s’avérer très difficile et extrêmement problématique. C’est une perte totale de repères.
Dans le cas présent, le télétravail peut être ressenti, paradoxalement, comme une perte de liberté (liée au confinement généralisé, vu comme un « grand enfermement »). D’autant plus que le télétravail, en temps normal, n’a lieu que ponctuellement, jouant ainsi pleinement son rôle émancipateur, libérateur, en permettant au collaborateur de pleinement apprécier la meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, et en allégeant ses contraintes (de déplacement par exemple).
Ici, ce n’est plus le cas, le télétravail isole du reste du monde (c’est d’ailleurs l’une de ses vocations premières dans le contexte actuel), et limite les relations au strict cercle familial.
Gérer les priorités
Cette situation est extrêmement problématique. En temps normal, le télétravail n’est pas conciliable avec la garde d’enfants. Ce sont deux activités totalement différentes, qui ne doivent ni être confondues, ni mélangées… Dans le cas présent, nous n’avons pas d’autre choix que de nous organiser ainsi. Il ne faut pas oublier non plus l’impact psychologique de cette crise sans précédent, et ses retentissements, sur chacun d’entre nous, petits et grands.
Beaucoup de collaborateurs ressentent des difficultés à se concentrer et à être productifs, dans ce contexte qui est très anxiogène, source d’inquiétude et d’angoisse pour soi et ses proches. Cela est loin d’être anodin sur le bien-être, la motivation, l’envie, et l’engagement de chacun d’entre nous… A fortiori quand les parents doivent prendre le relais de l’école et assurer la nécessaire continuité pédagogique pour leurs enfants entre deux séries d’emails.
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Dans ce contexte, comment tenter de concilier au mieux télétravail et vie de famille ? Pour le collaborateur, comme dans tout contexte de télétravail, il semble primordial de gérer les priorités, et d’essayer de maintenir une séparation, même symbolique, entre le travail et la vie personnelle et familiale (en termes de plages horaires et d’espaces de travail).
Face à la perte de repères, il convient d’en créer de nouveaux et d’inventer de nouvelles routines, à la fois en tant que télétravailleur, et en tant que parent. Cela demande adaptation, écoute, communication, transparence… et également l’établissement de règles de vie commune et un bon partage des tâches au sein de la famille… Ce qui est loin d’être un jeu d’enfant… quand la plupart d’entre nous n’y étaient pas préparés.
Faire comprendre aux enfants
Sur le plan professionnel, cela nécessite de poser un cadre clair et de s’efforcer de s’autodiscipliner du mieux possible : aménager correctement l’espace de travail, essayer de respecter les horaires et un certain rythme, même si ce dernier pourra difficilement être le même qu’en entreprise, en expliquant la réalité des choses, et en faisant comprendre à l’entourage (notamment aux enfants, s’ils sont en âge de le comprendre) que, même à domicile, le télétravailleur doit travailler.
Au passage, c’est une bonne opportunité pour faire comprendre aux enfants que l’école à la maison n’est pas synonyme de vacances… Eux aussi sont devenus des télétravailleurs après tout !
La situation que nous connaissons peut aussi être vue comme une occasion de mettre à profit ce temps passé en famille. C’est l’occasion de se recentrer, de faire de ce confinement une expérience sereine qui peut avoir des vertus.
C’est l’occasion de trouver du réconfort auprès des siens, de réapprendre la patience, à travers l’expérience d’un temps plus précieux, plus long, de qualité, en résonance avec les êtres qui nous sont chers, dans un contexte d’accélération permanente de la vie, qui a érigé l’urgence et l’immédiateté comme des normes sociales impérieuses d’une société qui va bien souvent très vite, trop vite.
Joie de se retrouver
Cette expérience doit permettre, en retour, d’organiser d’autres moments réservés exclusivement au travail, sur des plages horaires et dans un espace clairement définis. Pour ce faire, le maintien d’un lien, même virtuel, avec les collègues et l’entreprise parait essentiel.
Même si cette forme inédite de télétravail, « à temps partiel » par la force des choses, en situation de crise, et vécue en famille, aura indéniablement des conséquences sur l’efficacité et la productivité de chacun, et des entreprises en général, peut-être est-ce aussi l’occasion de réinventer notre rapport au travail, à la famille et à l’entreprise, afin d’y trouver un nouveau ressort, un sursaut générateur.
C’est en effet une occasion de resserrer les liens, en famille, mais aussi paradoxalement à distance avec son entreprise. J’imagine déjà la joie et l’émotion que nous aurons à nous retrouver d’ici quelques semaines, en entreprise, afin de revivre l’expérience du vivre et du construire « ensemble » autour d’une cause et d’un objectif communs.
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Cette crise est un choc immense, une rupture, un désespoir face à la gravité de la situation mais elle est aussi un espoir… celui de reprendre le contrôle de ce qui nous échappe trop souvent, et de nous recentrer sur l’essentiel, dans l’entreprise et dans nos vies.
Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, Chercheuse, CNRS, LEM (Lille Economie Management), IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.