Une enquête récente auprès de retraités en activité professionnelle ou impliqués dans des activités ludiques, montre leur souhait de travailler différemment, en gardant la maîtrise de leur temps et rythme de travail. La période de retraite est de moins en moins considérée en opposition à celle du travail et indique une évolution dans le profil et attentes des retraités.
Dominique Argoud, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Sebastián Pizarro Erazo, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Zoé Yadan, Université Paris Cité
Tiago Muraro/Unsplash, CC BY-NC-ND
Comme ce fut le cas lors des précédentes réformes, le débat sur l’avenir des retraites est avant tout centré sur les moyens de ramener l’équilibre financier des régimes de retraite.
Les questions liées au mode de vie et aux attentes des retraités apparaissent bien secondaires. Pourtant, le profil des nouvelles générations de retraités a bien évolué depuis ces dernières décennies.
Pour mieux l’appréhender, nous avons réalisé une enquête pour le compte de la Mutualité française Île-de-France intitulée « Du travail à la période de retraite : Enquête auprès des jeunes retraités franciliens » (rapport de recherche LIRTES, UPEC, 2022, non-communiqué actuellement). Son objectif a été de saisir les attentes et les besoins de cette population afin de mettre en œuvre des actions d’aide et de prévention adaptées.
À cet effet, nous avons d’abord mené une enquête par questionnaires auprès de 3516 retraités âgés entre 54 et 75 ans vivant en Île-de-France, puis celle-ci a été complétée par une enquête qualitative réalisée par entretiens.
Un âge de départ en retraite globalement maîtrisé
Même si la notion d’âge légal de départ en retraite, actuellement de 62 ans à taux plein, tend à être diluée sous le coup des réformes successives du système des retraites, elle reste un horizon à atteindre pour 42 % des retraités interrogés.
Et les trois quarts des répondants ont très majoritairement le sentiment d’avoir réussi à partir quand ils l’avaient prévu et 68 % considèrent qu’ils sont partis au bon moment. Quant à ceux qui ont fait le choix de partir précocement, ils le font pour des raisons positives comme le fait de vouloir profiter de leur retraite (30 %), mais parfois négatives comme le constat d’une dégradation des conditions de travail (24 %).
Le cumul emploi-retraite reste une pratique minoritaire (11,5 %). Il est pratiqué tant par des personnes disposant d’une forte expertise professionnelle que par celles qui subissent une carrière professionnelle non linéaire et donc un faible niveau de pension qu’il est alors nécessaire de compléter. Du fait d’une législation plus favorable au cumul entre emploi et retraite, celui-ci est en progression.
Les entretiens réalisés témoignent par ailleurs d’une porosité croissante entre travail et retraite : la période de retraite est de moins en moins considérée en opposition par rapport à celle du travail. Qu’il s’agisse des personnes reprenant une activité professionnelle ou simplement s’engageant dans une activité quelconque, leur point commun est de souhaiter travailler différemment, en gardant la maîtrise de leur temps et rythme de travail.
Une solidarité intergénérationnelle qui évolue
Au sein de la famille, l’aide apportée aux enfants concerne en premier lieu la garde d’enfants. Un quart des répondants disent garder régulièrement leurs petits-enfants. Mais cette fonction traditionnelle de la grand-parentalité, a évolué. Désormais, les jeunes retraités prennent garde à préserver leur liberté.
« On est souvent avec notre petit-fils les mercredis ou pendant les vacances, ça soulage un peu notre fils et sa compagne, mais ce n’est pas un engagement écrit… on a du plaisir, je veux que ça reste du plaisir, c’est pas une obligation. Si on a quelque chose à faire un mercredi, ou pendant les vacances, on leur dit, on ne sera pas là et ils se débrouillent, à eux de s’organiser »
L’autre aide importante apportée aux enfants concerne l’aide financière : 18 % des personnes interrogées déclarent aider régulièrement leurs enfants d’un point de vue financier, et 38 % de temps en temps. Ces chiffres ne sont guère surprenants dans un contexte où les trajectoires professionnelles et personnelles des jeunes actifs sont moins linéaires qu’auparavant.
En revanche, seuls 16 % des jeunes retraités sont amenés à aider leurs parents, que ce soit régulièrement ou de temps en temps. Ce faible chiffre est toutefois à relativiser car les trois quarts des retraités de notre échantillon n’avaient déjà plus d’ascendants en vie. Mais cela témoigne malgré tout du rôle important joué par le système de retraite dans l’accroissement relatif du niveau de vie des personnes âgées actuelles.
Néanmoins, la solidarité intergénérationnelle reste une réalité. Par exemple, notre enquête montre que les deux tiers des jeunes retraités apportent une aide administrative et numérique à leurs parents.
Un engagement mosaïque dans plusieurs activités à la retraite
Avec la généralisation du système des retraites, les retraités ont progressivement eu accès à des activités de loisirs, dites du troisième âge, à partir des années 1970. Mais aujourd’hui, le champ des possibles s’est considérablement diversifié.
Il en résulte pour une majorité de personnes un mode de vie constitué d’une multitude d’activités, allant du temps pour soi jusqu’au bénévolat, en passant par des activités physiques et de loisirs. Cette diversité des pratiques traduit également un engagement « post-it » privilégiant l’envie de profiter de son temps libre et de la liberté qu’offre la vie d’après le travail.
Cette diversité des pratiques doit cependant être nuancée. Elle est fortement corrélée au niveau de diplôme et au sentiment d’aisance financière. Ainsi, les personnes qui ont un faible niveau de diplôme et/ou un niveau de vie difficile sont celles qui déclarent le plus souvent ne pas avoir d’activités particulières au moment de la retraite. Autrement dit, les inégalités sociales ne s’arrêtent pas le jour du départ en retraite…
Par exemple, les personnes disposant d’un brevet des collèges sont 10 % à ne pas avoir d’activités particulières, contre 1 % pour celles disposant d’un doctorat. A l’inverse, elles ne sont que 2 % à faire du bénévolat, contre 14 % pour les autres. On note également que plus le niveau de vie est perçu comme difficile, plus les activités sont restreintes et réduites à « prendre soin de soi ». Quant aux retraités disposant le plus de ressources sociales, ce sont eux qui s’approprient le plus facilement les messages publics de prévention, comme le fait de pratiquer une activité physique régulière à la retraite.
La crainte du mal vieillir
Un tiers des personnes interrogées envisagent des adaptations de leur logement. Si seulement 9 % d’entre elles ont déjà mis en place des choses concrètes, par exemple l’adaptation d’une douche ou de toilettes adaptées, plus de la moitié (53 %) ont malgré tout commencé à y réfléchir pour anticiper d’éventuels problèmes de dépendance ultérieurs. Et plus les personnes disposent d’un niveau de diplôme élevé, plus elles disent commencer à y réfléchir. Ces chiffres traduisent une propension croissante des jeunes retraités à se projeter dans l’avenir quant à leur propre vieillissement.
Les raisons avancées à ce désir de se projeter dans l’avenir sont liées à la volonté de ne pas vieillir comme ses parents ou les personnes de son entourage et surtout de ne pas être une charge pour ses proches. Ce qui conduit les personnes retraitées à expérimenter un nouveau mode de vie accordant de l’importance à la qualité de leur lieu de vie et à l’entretien de leur réseau relationnel. Mais ce faisant, leur perception du vieillissement repose sur une figure repoussoir : le « vieux dépendant » et l’Ehpad, dont ils cherchent à se démarquer en s’identifiant à la figure opposée qui est celle du « senior », jeune et actif.
« Je ne voudrais pas être dépendante, c’est quelque chose que je ne supporterais pas. »
« Franchement, j’espère que ça me sera épargné. C’est pour ça que je ne veux pas vivre trop longtemps. Ah non, en Ehpad, c’est épouvantable. »
Le jeunisme comme idéal ?
Les entretiens semi-directifs ont permis de recueillir de nombreux propos tout aussi catégoriques. Ce n’est donc pas un hasard si ce rejet de la grande « dépendance » ou de la maladie grave se manifeste par un refus de l’acharnement thérapeutique, et, au-delà, très massivement, par un engagement en faveur d’une évolution législative autorisant le suicide assisté.
« Moi je suis pour l’euthanasie, choisie, pas décidée par les autres. Mais moi ce que j’espère c’est si un jour je devenais grabataire comme ça qu’on m’autorise à partir. Dans la dignité. »
La volonté d’être autonome et de garder une liberté de choisir est fortement affirmée par les nouvelles générations de retraités. Il y a là un vecteur de changements profonds qui obligera la société à repenser beaucoup de dispositifs actuellement mis en œuvre qui négligent cette revendication d’autonomie.
Néanmoins, elle comporte un effet pervers en contribuant à occulter le grand âge qui fait ainsi office de repoussoir. Ce faisant, les nouvelles générations de retraités alimentent elles-mêmes une forme de jeunisme dans la société considérant que la vie ne vaut la peine d’être vécue que si l’on est jeune et en bonne santé.
Une telle affirmation mérite d’être réinterrogée sur le plan éthique, à moins que l’élimination des plus de 75 ans soit considérée comme un avenir souhaitable comme le propose de façon très cynique le film japonais primé à Cannes en mai, Plan 75.
Dominique Argoud, Maître de conférences en sciences de l’éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Sebastián Pizarro Erazo, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Zoé Yadan, Docteure en Sciences de l’Education et de la Formation, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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