Ma femme est peintre en bâtiment… et alors, où est le problème ?

Un nombre grandissant de femmes poussent la porte du secteur du bâtiment pour bâtir leur carrière, en assumant leur passion pour leur métier. Dans un secteur où 90 % des emplois sont occupés par les hommes, comment ces femmes vivent-elles leur activité professionnelle ? Surtout, assiste-t-on à une transformation du secteur de l’artisanat du bâtiment ou bien plus largement, à une évolution de la société ?

Dans le bâtiment, 90 % des emplois sont occupés par les hommes.
Kurhan / Shutterstock

Marion Polge, Université de Montpellier; Agnès Paradas, Université d’Avignon ; Caroline Debray, Université de Montpellier et Colette Fourcade, Université de Montpellier

L’étude menée par la chaire CoCréatec (Fondation Université de Montpellier), financée par le Fonds social européen (2016-2018), montre que les femmes arrivent aujourd’hui dans ce secteur avec de nouvelles ambitions, apportant un souffle de changement porteur d’amélioration de la performance globale.

Même si notre enquête relève que seulement 60 % des artisans estiment plutôt ou tout à fait favorable l’arrivée de femmes dans leur entreprise, la poussée de certains métiers vers la mixité devient une réalité. Ont été interrogés des femmes et des hommes, chefs d’entreprise, salariés et parties prenantes travaillant dans le secteur du bâtiment. Chacun s’accorde sur la nécessité d’accorder aux femmes de véritables statuts de dirigeantes et d’artisanes opératives, notamment en luttant contre les stéréotypes.

C’est ce qu’il ressort de la série de verbatims ci-dessous.

Contourner l’obstacle physique

La pénibilité dans certains métiers du bâtiment reste une réalité, surtout dans le gros œuvre (les activités contribuant à la construction de l’ossature d’un bâtiment) : manutention, transport de charges, un travail physique.

« Je suis censée travailler jusqu’à 73 ans, vous imaginez refaire un plafond ? »

« Il y a quand même beaucoup de manutention, déjà pour moi c’est un frein pour qu’une femme fasse ce métier. »

Mais les activités des entreprises du bâtiment ne se limitent pas à ces aspects physiques :

« Mis à part soulever des poids très lourds, une femme peut réaliser les mêmes tâches qu’un homme. »

La difficulté physique reste un frein pour certains métiers dans la pensée collective, tandis que d’autres comme la menuiserie, voient la mixité s’installer dans les centres de formation.

Les métiers de la menuiserie attirent de plus en plus les femmes.
Robert Kneschke/Shutterstock

Néanmoins, cet obstacle physique semble pouvoir être contourné. D’abord, les évolutions techniques permettent de réduire la charge physique, facilitant l’insertion des femmes, mais allégeant également le travail des hommes. Ensuite, les femmes interrogées manifestent une grande ingéniosité pour éviter les obstacles physiques (recrutement de salariés, intérimaires, collaboration avec d’autres entreprises, positionnement sur des chantiers adaptés, etc.). Finalement, la difficulté physique paraît plus présente dans les esprits que dans la réalité des chantiers.

Le vrai problème aujourd’hui, c’est « qu’on n’a pas tous les corps de métier ». Les dépôts de CV par des femmes sont absents de certains métiers ; les filles sont également quasi absentes de certaines formations, malgré la politique pro-mixité engagée par le ministère de l’Éducation nationale, puis diffusée par les rectorats. Mais alors, qu’est-ce qui bloque encore ?

La réponse est peut-être… nous tous

Parents, chefs d’entreprises, clients, collègues, amis, époux, voisin, enfants… l’étude montre clairement que le poids de la société freine énormément la motivation des femmes. Le cercle familial exerce une pression particulièrement dissuasive pour les jeunes. Quand bien même les parents sont eux-mêmes artisans, ils dissuadent leur fille d’entrer dans le métier :

« Dès le début, mon père m’a dit que peintre n’était pas un métier pour les femmes. »

La contrainte généralement exprimée par les femmes-chefs d’entreprise se retrouve dans ce secteur : les responsabilités familiales. Elles sont d’ailleurs soulignées par les partenaires des femmes engagées dans le secteur du bâtiment bien plus que par elles-mêmes : « on ne sait pas à quelle heure il faut finir… c’est un peu compliqué ».

Un autre frein à la mixité dans l’artisanat du bâtiment relève d’un empêchement social, véhiculé à travers des stéréotypes associés à un clivage entre métiers.

« Il faut qu’il y ait de la mixité dans tous les métiers, pas seulement dans les métiers du bâtiment. » (parole de femme)

« On ne renseigne pas correctement notre jeunesse. À mon avis, c’est volontaire. » (parole d’homme regrettant la sous-représentation féminine parmi les jeunes apprentis)

Les témoignages exprimant des freins venant de la société sont nombreux. L’étude montre bien que la rugosité reprochée à ce secteur n’est en réalité que le reflet d’une société identifiant l’artisan du bâtiment par une virilité exacerbée. Prenons l’exemple de cette femme menuisier à qui une cliente répond :

« Mais, c’est vous le menuisier ? Alors je ne veux pas de devis, un menuisier est un homme, je ne veux pas de vos services ! »

De « femme d’artisan » à « artisanes »

Les stéréotypes aident à structurer notre représentation de l’autre. D’une certaine manière, ils organisent notre regard sur la société en catégorisant la population. En revanche, ils risquent de limiter le rôle des femmes à des tâches essentiellement administratives, puisque l’inconscient collectif du XXe siècle nous a appris qu’il y a des « femmes d’artisans » et non des « artisanes ». La « femme d’artisan » seconde son mari, l’« artisane » assume une fonction de chef d’entreprise.

Les stéréotypes deviennent réellement dangereux lorsqu’ils se transforment en préjugés, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent un niveau discriminatoire assimilant le rôle de second à une incompétence dans la direction. Ce que montre notre étude, c’est la prégnance d’une responsabilité partagée entre femmes et d’hommes dans ces préjugés. Les uns se complaisent dans leur leadership, tandis que les autres, formatées par une éducation patriarcale, se glissent confortablement dans l’ombre des premiers. Résultat plus étonnant, nous n’avons pas constaté de fracture générationnelle dans ces comportements.

« Elles sont différentes » : vision traditionnelle

Les stéréotypes peuvent être négatifs, découlant des contraintes matérielles, dues à la dureté de certaines activités du bâtiment.

« Ce sont des métiers physiques… c’est vrai que pour une femme c’est peut-être un peu compliqué. »

Mais la vision stéréotypée présente aussi des aspects non discrimants, exprimés tant par le ressenti des hommes que par celui des femmes. En matière de gestion et d’organisation, les femmes apparaissent meilleures :

« La différence sur les chantiers, c’est l’organisation. Déjà, elles arrivent à l’heure à la réunion… Elles sont bien plus rigoureuses que les mecs. » (parole d’homme)

Les préjugés sont entretenus à la fois par les hommes et les femmes.
Mark Agnor/Shutterstock

Les femmes sont également valorisées dans la relation clientèle :

« Dans la mentalité des gens, le fait de faire faire des travaux par une femme, ça les rassure sur la propreté du chantier ».

Enfin, la qualité des relations avec les salariés, mais aussi les partenaires, est vue comme supérieure pour les femmes. En conséquence, leur rôle de directeur des opérations semble s’immiscer dans le quotidien des entreprises artisanales, sans qu’il soit formellement assumé, ni contractuellement généralisé.

« Qu’est-ce fait une femme sur le chantier ? » : discrimination hostile

Le regard peut être franchement désapprobateur :

« Parfois on a l’impression, on ressent, qu’on prend une place… »

Mais plus souvent se pose le problème de reconnaissance professionnelle, difficile.

« C’est pas une femme qui va m’apprendre mon boulot. »

En tout état de cause, l’erreur, voire la simple maladresse, n’est pas tolérée de la part d’une femme sur les chantiers (alors qu’elle serait acceptée de la part d’un artisan homme… ).

« Je ne suis pas sûre que j’aurais été testée si j’avais été un homme » : sur-exigence professionnelle

La femme arrivant sur un chantier ressent l’impression d’un examen de passage imposé par ses collègues masculins. Sa compétence est a priori mise en question :

« Ils émettent des doutes… Ils ne font pas confiance. »

Une maîtrise du métier supérieure à celle des artisans hommes est exigée de la part d’une femme ; il faut faire ses preuves. Mais lorsque la compétence est reconnue et que la maîtrise technique est là :

« Les hommes sont encore plus impressionnés. »

Les femmes sont-elles l’avenir du bâtiment ?

Le qualificatif d’« entrepreneuriales » adjoint aux motivations des femmes à s’insérer dans le monde de l’artisanat du bâtiment est justifié à un double titre : professionnalisation et capabilité.

L’affichage d’une professionnalisation technique

L’orientation des femmes dans les métiers du bâtiment correspond à un choix de carrière (et non un choix par défaut) :

« J’ai pas choisi ce métier là parce que c’était pour homme ; j’ai choisi ce métier là parce qu’il me plaisait. » (parole de femme)

En conséquence, les femmes font preuve d’une grande rigueur dans l’exercice de leur profession :

« Quand elles disent qu’elles font quelque chose, elles le font. » (parole d’homme)

La reconnaissance professionnelle est plus difficile à obtenir pour les femmes.
Gorodenkoff/Shutterstock

Cette représentation (stéréoptype ?) que se font les hommes du professionnalisme féminin semble motiver leur volonté d’accueillir plus de femmes dans la technicité de leur métier. Les hommes interrogés ont reconnu être plus vigilants sur la qualité de leur travail lorsqu’il y a des femmes dans leurs équipes. La mixité pourrait ainsi contribuer à augmenter la performance des entreprises par une amélioration générale de la rigueur professionnelle.

« Moi, j’aime la mixité femme-homme : j’aime parce que du coup, on est meilleurs tous ensemble. » (parole d’artisan)

L’affirmation d’une capabilité, socle de la détermination entrepreneuriale

Tenues à faire preuve de leurs compétences, les femmes sont sûres de leurs capacités.

« Une femme peut rester elle-même, aller jusqu’au bout… il n’y a pas de raison. »

Ces motivations portent une démarche entrepreneuriale, débouchant sur la décision de créer son entreprise. D’où la forte proportion de jeunes entreprises unipersonnelles créées par des femmes dans l’échantillon objet de notre analyse.

Les indicateurs de performance individuelle, organisationnelle, sociale et économique que nous avons mesurés montent en puissance lorsqu’il y a mixité dans l’artisanat du bâtiment. Non seulement le climat s’apaise, mais le professionnalisme s’améliore aussi bien dans les entreprises, que sur les chantiers où interviennent plusieurs corps de métiers. L’intérêt à déconstruire les stéréotypes encore nombreux n’en est que renforcé.The Conversation

Marion Polge, Maitre de conférences HDR en sciences de gestion, Université de Montpellier; Agnès Paradas, Maître de Conférences HDR en sciences de gestion, Université d’Avignon ; Caroline Debray, Maître de Conférences Sciences de Gestion – Management des PME, Université de Montpellier et Colette Fourcade, Maître de conférences honoraire, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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