Les candidats peuvent notamment être tentés de se présenter sous leur meilleur jour à travers leurs réponses à des questionnaires qui, en outre, visent à écarter les profils moyens.
Jean-Etienne Joullié, Pôle Léonard de Vinci et Bertrand Jonquois, Pôle Léonard de Vinci
Flickr/Marco Verch Professional Photographer, CC BY-SA
La notion de « personnalité » (ou, plus rarement, de « caractère ») est souvent invoquée lors d’un processus de recrutement. Les psychologues spécialisés en gestion des ressources humaines avancent que les personnalités des employés prédisent en partie leur performance car qu’elles sont stables, difficiles à changer et formées de grandes caractéristiques souvent appelées « traits ». Cette perspective justifie l’existence de tests de personnalité administrés pour identifier les caractéristiques fondamentales affectant la performance des employés et composer des équipes équilibrées.
Comme expliqué dans une publication toujours d’actualité, les questionnaires de personnalité suivent presque tous une même logique. Ils consistent en une série de questions auxquelles il faut répondre par « oui » ou « non » (certains proposent des réponses graduées ou neutres). Lorsque le test est complété, les réponses sont compilées suivant plusieurs axes, qui sont autant de traits de personnalité mesurés par le questionnaire.
Le test de Cattell, connu sous le nom de « 16PF », date de 1949 et peut être considéré comme l’ancêtre des tests de personnalité. Populaire jusque dans les années 1980, il a été depuis supplanté, notamment par le « Big Five » (unesimplificationdu16PF), le HEXACO (tiré du « Big Five ») et surtout le MBTI. Voici un exemple de profil généré par le 16PF :
La personne ayant ce profil aura été jugée « très intelligente », « très assertive », « faisant confiance facilement », « très imaginative », « très directe », « très placide » et « très autosuffisante ». Cependant, dans le cadre d’un processus d’embauche, elle aura très vraisemblablement été écartée. En effet, son profil est déséquilibré : 11 des 16 traits ont été mesurés en dehors de la zone moyenne, 7 d’entre eux en étant même très éloigné.
Préférence pour le profil moyen
D’une manière générale, un candidat dont le profil est déséquilibré comme celui ci-dessus n’a que peu de chance d’être sélectionné. En l’espèce, qui a envie de travailler avec quelqu’un de plus intelligent, assertif, confiant, imaginatif, etc. que soi-même ? Un profil « équilibré », « rond » ou « lisse », c’est-à-dire dont la plupart des traits de personnalité ont été mesurés proche de la moyenne, aura lui, nettement plus de chances d’être retenu.
Certes, une telle personne sera un peu ennuyeuse (ni trop intelligente, ni trop imaginative, etc.), mais au moins elle ne fera d’ombre à personne. Le profil moyen est donc le profil psychologique idéal, du moins dans le cadre d’une procédure de sélection à l’emploi et en l’absence d’informations complémentaires sur le poste et l’entreprise concernés. Mais comment l’obtenir ?
Quel que soit le questionnaire, un trait donné est mesuré en rapprochant les réponses à un groupe de dix, quinze ou vingt questions différentes et en les comparant avec des moyennes établies par les concepteurs du test. Les questions d’un groupe, bien que formulées différemment, portent en fait sur la même dimension psychologique. La langue française est souple, mais il n’existe qu’un nombre limité de manières de demander, par exemple, à quelqu’un s’il a beaucoup d’amis ou s’en fait facilement. Une certaine répétition dans le contenu des questions est inévitable.
Pour éviter un score extrême (dans un sens ou dans l’autre) pour un trait, on répondra de manière la plus conventionnelle possible aux questions (comme si on était Monsieur ou Madame Toulemonde, heureux et bien dans sa peau). De plus, on n’hésitera pas à se contredire de temps en temps. Par exemple, si on a répondu « oui » à deux ou trois questions du type « je donne souvent spontanément mon opinion », on répondra « non » à la question « je dis fréquemment ce que je pense ». Ainsi, le trait de personnalité que ces questions essayent de mesurer ne ressortira pas avec un score trop élevé ou trop faible.
« Comprenez-vous pourquoi des gens aiment l’art abstrait ? »
Les adeptes des tests de personnalité protesteront qu’il n’y a pas de « bonnes » ou « mauvaises » réponses à leurs questions, que les scores ne s’apprécient pas isolément, qu’il est malhonnête d’essayer de tricher, que cela n’est pas possible et que même si cela l’était, c’est le candidat qui en pâtira car il risque de se voir proposer un poste qui ne lui convient pas. Ces remarques peuvent cependant être largement nuancées.
Tout d’abord, vouloir ressortir du test de personnalité avec le profil le plus avantageux possible est du même ordre d’idée que de vouloir faire bonne impression lors d’un entretien. Par exemple, les personnes qui s’habillent de façon négligée dans leur vie de tous les jours font généralement l’effort de s’habiller au mieux pour un entretien d’embauche. De tels ajustements ne sont pas considérés comme de la malhonnêteté. Ils sont même encouragés, alors qu’ils travestissent la « véritable nature » de la personne (en supposant qu’il y en ait une) de la même manière que des réponses calculées à des questions de personnalité.
Le test « Big Five » contient des questions comme « savez-vous pourquoi les étoiles scintillent ? », « préférez-vous un livre à un film à la télévision ? » ou encore « comprenez-vous pourquoi des gens aiment l’art abstrait ? » La pertinence de ces questions dans le cadre d’un recrutement pour un poste de responsable marketing, de consultant ou autre semble douteuse.
En effet, pour rappel, le code du travail (article L 1221-6) précise que :
« Les informations demandées au candidat à un emploi, sous quelque forme que ce soit, ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles ».
L’objectif du législateur est de protéger les candidats contre les discriminations. Poser une question comme celles énoncées précédemment s’apparente donc à de la discrimination selon le code du travail.
Questions pièges
Conscients de la possibilité de manipuler les résultats de leurs tests, les psychologues y insèrent parfois des questions pièges (« lie scale » en anglais). Celles-ci ne mesurent pas directement un trait de personnalité, mais évaluent l’honnêteté de la personne qui passe le test (et donc la fiabilité de celui-ci) en comparant ses réponses avec ce que les concepteurs du test ont estimé être une conduite normale.
Ces questions particulières portent sur des comportements critiquables mais très courants. Par exemple : « toutes vos habitudes sont-elles bonnes ? » ; « vous vantez-vous parfois un peu ? » ; « avez-vous déjà dit du mal de quelqu’un ? », etc.
Afin d’apparaître comme honnête, on répondra « non », « oui » et « oui », même si cela implique de mentir sur soi-même. Une fois ces questions pièges déjouées, les autres questions peuvent être répondues comme bon le semble.
Reste finalement le risque de se voir proposer un poste qui ne convient pas à sa « personnalité ». À cette remarque, on rétorquera que c’est sûrement un risque plus acceptable que celui de ne pas se voir proposer un poste du tout.
Certains promoteurs des tests de personnalité affirment qu’ils sont utiles pour s’assurer de la cohérence de la personnalité du candidat avec la culture de l’entreprise. Comme le faisait remarquer le professeur et consultant américain en management Peter Drucker, une telle pratique, en admettant qu’elle soit efficace, ne ferait qu’encourager favoritisme et conformisme et se retournera contre l’entreprise lorsqu’une diversité des opinions sera nécessaire.
Quoiqu’il en soit, l’utilisation des tests de personnalité dans le cadre d’un processus d’embauche est peu efficace et juridiquement douteuse. Il est temps de s’en détourner.
Plutôt que d’essayer d’évaluer la personnalité d’un candidat, les recruteurs peuvent par exemple vérifier, via des mises en situation, s’il sait se présenter, animer une réunion, exposer un argument et écouter ses interlocuteurs, ou s’il a le sens du service (compétences souvent appelées « soft skills », souvent oubliées des écoles de management – mais enseignées à l’EMLV). Si nécessaire, des tests cognitifs (de QI ou de connaissances spécifiques) peuvent être organisés pour les aspects techniques de l’emploi concerné (les « hard skills »).
Jean-Etienne Joullié, Professeur de management à l’EMLV, Pôle Léonard de Vinci et Bertrand Jonquois, Responsable du Master Marketing Digital et Data Analytics, Pôle Léonard de Vinci
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.