Les français estiment que le système de l’enseignement supérieur ne « garantit pas l’égalité des chances ». Pour autant, la course aux diplômes est devenue un sport national en France avec une véritable prédilection pour le bac + 5.
Sébastien Tran, Pôle Léonard de Vinci – UGEI
Selon une étude réalisée pour la FESIC, 55 % des français estiment que le système de l’enseignement supérieur ne « garantit pas l’égalité des chances ». Les enquêtes Pisa menées par l’OCDE soulignent également que l’enseignement français est parmi les plus inégalitaires du monde. Pire, plus d’un Français sur deux (55 %) estime que la qualité de l’enseignement supérieur s’est dégradée ces dix dernières années (seulement 7 % pensent qu’elle s’est améliorée, mais 73 % qu’il dispense des formations de bonne qualité).
Pour autant, la course aux diplômes en France est devenue un sport national avec une véritable évolution depuis plusieurs années vers le bac + 5 qui apparaît de plus en plus comme une « norme » pour les étudiants et les familles. Ainsi entre 2000 et 2012 le nombre de diplômés bac + 5 en France a augmenté de 75 %. De très nombreuses formations ont été créées depuis quelques années, que ce soit au niveau des écoles d’ingénieurs (le dernier classement de l’Usine Nouvelle recense près de 106 écoles en France en 2016) ou des écoles de management qui vont même parfois jusqu’à proposer un cursus post bac complet en cinq ans (la dernière en date ayant obtenue le Grade de Master étant l’EMLV au pôle Léonard de Vinci). Comment expliquer ce phénomène ? Quelles sont les problématiques posées pour ce niveau de formation ?
Quelle insertion professionnelle des jeunes diplômés ?
Le diplôme bac + 5 est devenu en quelques années un passeport pour l’emploi dans la plupart des filières du supérieur dans une conjecture très difficile (le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans atteignait 24,5 % fin 2015). Cela s’explique par les chiffres d’insertion communiqués par la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) mais aussi du côté de l’Université.
Une récente étude du Ministère de l’Enseignement supérieur montre que 2,5 ans après leur diplôme bac + 5, 90 % des étudiants ont décroché un emploi. À cela s’ajoute également le niveau de rémunération avec un salaire net médian de 1 900 € pour un bac + 5 contre 1 500 € pour un DUT par exemple. Une étude du moteur de recherche d’emploi en ligne Adzuna montre en 2017 que les diplômés de niveau bac + 5 peuvent espérer gagner plus de 600 K€ que les bac + 2 au cours de leur vie professionnelle.
Au-delà d’apparaître comme un rempart contre un chômage de masse, les diplômes de niveau bac + 5 participent également à une forme de reconnaissance sociétale. Une croyance s’est ainsi fortement propagée dans la société quant à la nécessité de disposer d’un capital social plus élevé que la génération de ses parents, l’enseignement supérieur étant l’un des moyens mais pas le seul d’accroître ce type de capital.
Ce phénomène a été aussi accentué par la génération d’après-guerre qui a véhiculé un discours prônant le diplôme comme un catalyseur vers des positions sociales mieux perçues dans la société (voir par exemple l’ouvrage « Tu seras patron mon fils », Basso et coll. 2004). Pour autant, cette croissance du nombre de diplômés bac + 5 peut faire apparaître de nouvelles problématiques qu’il convient de traiter.
Une problématique marché amont/marché aval pour l’enseignement supérieur
L’enseignement supérieur est confronté à une double problématique. D’abord celle du marché amont avec l’évolution démographique forte du nombre de bacheliers en France et donc d’entrants dans le système de l’enseignement supérieur (le taux de réussite du baccalauréat 2016 a atteint un niveau record avec 88,6 % selon les résultats définitifs publiés dans une note d’information du MENESR). Le baccalauréat devient de moins en moins un filtre de sélection dans la poursuite d’étude ce qui se reporte sur les cursus de l’enseignement supérieur.
Au-delà des problèmes de capacité d’accueil des structures, il existe un décalage de plus en plus important dans le socle des connaissances de base entre le lycée et les établissements d’enseignement supérieur (la réforme du bac n’a pas été réellement coordonnée avec les écoles et les universités par exemple). On peut citer l’exemple de l’enseignement des mathématiques et l’adaptation « contrainte » des cursus des écoles d’ingénieurs.
On se retrouve donc dans une situation de remise à niveau plus importante dans le premier cycle de l’enseignement supérieur, ce qui conduit à décaler mécaniquement l’acquisition de connaissances, de compétences et savoir-faire dans une logique de métiers et de filières. Cela contribue ainsi dans l’esprit collectif à « déqualifier » les diplômes de premier cycle qui deviennent des cycles de préparation au niveau Master et non plus des cycles de formation professionnalisant.
La seconde problématique se situe en aval, c’est-à-dire à la sortie du cursus. En effet, la multiplication des formations peut entraîner aussi des décalages entre certaines d’entre elles et les métiers qui sont aussi en pleine évolution. L’orientation dans les différentes formations n’est pas souvent bien réalisée dans les filières et à cela s’ajoute aussi la cohérence des compétences et des connaissances assimilées durant les 5 années de formation surtout à partir de diplômes différents.
Même si la logique pédagogique actuelle est de former les étudiants à « apprendre à apprendre », les entreprises restent attentives à une cohérence et une progressivité dans les parcours de formation des diplômés. Par ailleurs, cette « course aux diplômes » s’explique car les entreprises utilisent le diplôme comme un signal qualité sur le marché de l’emploi (et donc un outil de sélection) avec de plus en plus de candidats, mais cela se traduit par un décalage plus important entre les compétences requises du poste et la formation du diplôme (par exemple de plus en plus de chefs de rayon dans la grande distribution sont titulaires d’un bac + 5 alors qu’un bac + 2 suffisait il y a quelques années).
Le diplôme est alors de moins en moins perçu comme un parcours d’apprentissage de compétences, de connaissances et de savoir-être, mais comme un filtre de candidatures parmi des candidats de plus en plus nombreux. On assiste alors à un jeu de chaises musicales où les bac + 5 chassent les bac + 3 de certains postes dans les secteurs, ce qui a pour conséquence d’accentuer ce phénomène de course au bac + 5.
En cette période d’élection présidentielle, il est important que le débat concerne aussi l’enseignement supérieur trop souvent oublié, avec une réflexion beaucoup plus centrée sur les compétences et savoir-être que les diplômes, et l’instauration d’une culture de la formation tout au long de la vie qui va devenir une obligation compte tenu de la vitesse de transformation des métiers.
Sébastien Tran, Directeur de l’École de Management Léonard de Vinci (EMLV), Pôle Léonard de Vinci – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.