Sebastien Bourdin, École de Management de Normandie – UGEI
Elle intéresse en effet plusieurs disciplines, touchant à la santé, au bien-être au travail, à l’environnement et concerne aussi les sciences humaines et sociales. Dans ce domaine, il faut souligner ici l’apport majeur des travaux de l’économiste et philosophe indien Amartya Sen, prix Nobel 1998 pour ses recherches sur l’« économie du bien-être ».
Si Amartya Sen reconnaît le revenu et la consommation comme critères de la qualité de vie, il fait de la possibilité et de la liberté des individus à mobiliser les opportunités qui s’offrent à eux concernant la vie qu’ils souhaitent mener une priorité. C’est cette idée qui se trouve au cœur de son concept de « capabilité ».
Autre apport important, celui du débat autour de la nécessité de trouver de nouveaux indicateurs – autres que le PIB – pour mesurer la richesse et le bien-être. Citons à ce propos l’instauration récente par l’OCDE d’un indicateur de qualité de vie à l’échelle des États (2011) et des régions (2014). Ces initiatives constituent une nouvelle étape vers des mesures territorialisées et objectives.
De multiples critères
La plupart des classements portant sur la qualité de vie prennent en compte l’emploi, le logement, l’environnement, les transports, la culture et les services urbains.
Les variables choisies rejoignent en partie les travaux d’Amartya Sen : un territoire doit être en mesure d’offrir à la fois une « capacité d’être » (la liberté de se loger aisément, de se maintenir en bonne santé, de bénéficier de la sécurité et d’un cadre de vie agréable) et une « capacité d’agir » (la liberté de se déplacer, d’accéder à l’éducation, au marché du travail et à des loisirs variés).
La qualité de vie recouvre ainsi plusieurs aspects : l’environnement naturel (climat, état de l’environnement naturel, etc.), l’environnement bâti (type et état du bâtiment, etc.), l’environnement sociopolitique (vie communautaire, participation citoyenne, etc.), l’environnement économique local (revenu, chômage, etc.), l’environnement culturel et des loisirs (musées, restaurants, etc.), l’environnement des politiques publiques (sécurité, santé, éducation, etc.).
Cette « qualité de vie », nous pourrions donc la définir comme l’ajustement entre des ressources offertes par l’environnement à un individu et les besoins exprimés par celui-ci. Cet ajustement est conditionné par les capacités et les libertés des individus au sein de leur environnement.
Attirer entreprises et habitants
La mondialisation – et la libéralisation du commerce international qui y est associée – a intensifié ces dernières décennies la concurrence entre les villes. Cette concurrence s’est souvent concrétisée par la recherche d’une plus grande compétitivité économique, au détriment de la promotion de facteurs liés à la qualité de vie tant du point de vue environnemental que social.
Mais dans un contexte de mobilité accrue du capital, cette qualité est aujourd’hui considérée comme un élément favorisant l’attractivité des villes. Les investissements consentis aujourd’hui par les métropoles au service du marketing urbain et de l’amélioration du bien-être des résidents en témoignent.
Plusieurs études ont ainsi montré comment la qualité de vie et le niveau de durabilité d’une ville pouvaient influencer la décision, pour une entreprise par exemple, de s’y installer ou non. Accroître le niveau de satisfaction des habitants constitue aujourd’hui une vraie stratégie pour attirer ces nouveaux investissements et les futurs résidents.
Les villes européennes bien placées
En tête de liste du dernier classement Mercer, rendu public en mars 2017, Vienne (Autriche) s’impose devant Zurich (Suisse) et Auckland (Nouvelle-Zélande). C’est en Europe que la concentration des villes à la qualité de vie élevée est la plus forte.
Pour établir son classement, le cabinet Mercer s’appuie sur les 10 critères suivants : l’environnement sociopolitique (stabilité politique, crime, respect de la loi…) ; l’environnement économique (contrôle des changes, services bancaires…) ; l’environnement socioculturel (accessibilité et censure des médias, restrictions aux libertés individuelles…) ; la situation médicale et sanitaire (fournitures et services médicaux, maladies infectieuses, gestion des déchets et des eaux usées, pollution atmosphérique…) ; écoles et éducation (niveaux et disponibilité des écoles internationales…) ; services publics et transports (électricité, eau, transports en commun, engorgement du trafic…) ; divertissements (restaurants, théâtres, cinémas, sports et loisirs…) ; biens de consommation (disponibilité des aliments, articles de consommation quotidienne, voitures…) ; logement (locations, appareils ménagers, mobilier, services d’entretien…) ; environnement naturel (climat, historique des catastrophes naturelles…).
La particularité de ce dernier classement Mercer réside dans la prise en compte de l’offre en matière d’infrastructures urbaines ; ces dernières jouent en effet un rôle important dans l’établissement de nouvelles firmes multinationales et de nouveaux travailleurs. De nouveaux critères – accessibilité en transports, congestion automobile, fiabilité de l’électricité, disponibilité en eau potable, téléphonie – y sont liés. Sur cet aspect précis, c’est Singapour qui occupe la première place, suivie par Frankfort et Munich. Bagdad et Port-au-Prince figurent en queue de ce classement.
Dans ce nouveau cadre concurrentiel entre les espaces urbains mondiaux, où les pouvoirs publics doivent désormais attirer les capitaux, la question du bien-être en ville est et sera essentielle.
Sebastien Bourdin, Enseignant-chercheur en géographie-économie, Laboratoire Métis, École de Management de Normandie – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.