Consultante dans un cabinet de conseil en ressources humaines, Carine Hahn exerce les métiers de coach et psychanalyste et accompagne les cadres au chômage. Elle est l’auteure du livre Pour nous la vie va commencer publié aux éditions Les Arènes, un témoignage sur ces vies professionnelles chahutées.
TPC : Pourquoi avoir écrit sur la reconversion des cadres ?
A la télévision, nous voyons souvent des images de siège d’usine et nous entendons régulièrement les revendications des non-cadres menacés par les plans sociaux, de plus en plus nombreux. Le dernier en date étant celui d’Alcatel-Lucent. Et pourtant, les cadres se retrouvent aussi sur le carreau… Mais les médias n’en parlent pas. Sans doute parce qu’ils sont encore vus comme des privilégiés du système et parce qu’officiellement ils le tiennent. Cela peut donc faire peur de dire aux Français qu’eux aussi souffrent de la situation économique. Et puis, coincés dans leur fonction d’encadrement, ces personnes ne « peuvent » souvent pas parler aux journalistes.
J’ai accompagné beaucoup de cadres et de cadres supérieurs, liquidés du jour au lendemain par leur entreprise. Ils touchaient le fond parce qu’ils ne s’étaient jamais imaginé que ce sort-là leur serait aussi réservé. J’ai fait de très belles rencontres. Dans ce livre, je voulais les raconter, témoigner du questionnement de ces personnes sur leur vie, sur notre époque, sur la cruauté du système actuel, de leur chemin difficile mais positif vers le changement, la reconversion. Je voulais partager avec les lecteurs toute cette humanité, certes malmenée, mais si porteuse d’espoir.
TPC : Peut-on dire qu’elle est plutôt choisie ou subie ?
Cette reconversion est souvent subie et parfois choisie. Au départ de leur accompagnement, les personnes, quand elles aiment leur métier, veulent l’exercer dans une autre entreprise, autrement; elles fuient avant tout la structure qui les a jetées, qui les a souvent fait souffrir pendant plusieurs années avant le licenciement.
Quand elles ne retrouvent pas un emploi dans leur métier, dans leur secteur professionnel, je les invite à élargir leur questionnement. Que se verraient-elles faire d’autre? Et nous interrogeons ensemble leurs rêves de vie différente.
Et puis, quelques-unes savent dès le départ qu’elles ne veulent plus revenir à ce qu’elles faisaient. Elles rêvent d’une autre vie, plus en accord avec leurs valeurs. Leur métier et/ou leur secteur a changé et elles ne s’y retrouvent plus. D’autres réalisent qu’elles ont fait les études que leur dictaient leurs parents et qu’il est temps d’être plus en accord avec leurs envies propres.
TPC : Quelles sont les difficultés qu’entraîne la contrainte du changement ? Et de quelle manière rebondir une fois le choc ou l’amertume passés ?
Même quand il est choisi, le changement se fait très rarement facilement. Qui dit changement dit résistance(s) au changement. Une personne peut, dans son discours, affirmer qu’elle veut changer de vie, et ne rien faire dans les faits pour. Parce que c’est difficile de quitter ce qui faisait ses repères, sa sécurité… d’avant.
Quand le changement est contraint, c’est encore plus difficile. La personne n’a pas choisi de changer; la situation l’y oblige. Elle est en rupture et il lui faut faire un travail de deuil avant de passer à autre chose. Un deuil qui doit aussi avoir lieu en cas de changement choisi.
Cette étape-là peut prendre du temps. Parfois des mois… Et chaque personne y fait face différemment, selon son histoire personnelle, ses expériences… La ou le licencié peut perdre toute confiance en soi, toute estime de soi. Même si elle ou il a un parcours professionnel exceptionnel. D’autant que la perte d’emploi provoque aussi d’énormes changements matériels et personnels: baisse de revenus, éloignement des soi-disant « amis », séparation, divorce…
Quand j’accompagne une personne en transition de vie, je passe énormément de temps à l’aider à se réassurer, à reprendre confiance en réalisant, par exemple, le chemin qu’elle a parcouru jusque-là. Elle doit mettre des mots sur son expérience, ses qualités et ses compétences et les mettre en action dans sa vie de tous les jours. Peu à peu.
Ce n’est qu’après qu’elle peut construire son projet et avancer pour le concrétiser. Sans confiance en soi, sans projet construit, sans assurance pour en parler, ce n’est pas la peine de « se mettre sur le marché ». Pour rebondir, une personne doit avant tout être pleinement en accord avec elle-même, qui plus est si elle a souffert dans son environnement professionnel. Après seulement, elle pourra parler à d’autres avec conviction de ce qu’elle veut faire, mener son enquête métier, construire son projet, réactiver et élargir son réseau pour le concrétiser.
Lire la suite de l’interview…