S’ils représentent moins de 7 % des inscrits en licence, certains bacheliers professionnels se dessinent de vrais parcours de réussite à l’université. Retour sur ces trajectoires atypiques. (Shutterstock)
Christine Guégnard, Université de Bourgogne – UBFC et Carine Erard, Université de Bourgogne – UBFC
Si les procédures d’admission limitent leurs chances d’accès à l’enseignement supérieur, certains bacheliers professionnels se faufilent à travers les mailles du filet. Comme Thibaut, bachelier en menuiserie, qui a validé sa licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) en trois ans, avant de tenter le Certificat d’Aptitude au Professorat d’Éducation physique et sportive conformément à son projet initial.
Quant à Cristina, qui « rêve d’être pompier de Paris depuis toute petite », elle choisit après le collège la spécialité métiers de la sécurité tout en pratiquant assidûment, et à bon niveau, la danse et la boxe. Bachelière avec la mention bien, elle s’inscrit en STAPS, une orientation imaginée depuis le collège, afin de rester dans le monde du sport tout en bénéficiant d’une formation favorable à ses perspectives professionnelles.
Les enseignants de son lycée ont tenté de l’en dissuader et le proviseur a même « fait un dessin d’un avion qui se cassait, qui se crashait » pour illustrer les risques d’une telle orientation. Trois ans plus tard, Cristina titulaire d’une licence est inscrite en master entraînement sportif et va passer le concours de sous-officier.
De son côté, Albert orienté en maintenance des équipements industriels faute d’avoir pu aller en lycée général, vit son passage en lycée professionnel positivement. Les enseignements pratiques lui permettent de se placer dans une dynamique scolaire qui l’invite à envisager une poursuite d’étude audacieuse :
« J’avais envie de faire quelque chose où il faut plus réfléchir, où il faut faire des maths ou de la physique […] et peut-être avoir un boulot qui me plairait un peu, plutôt que d’être simple ouvrier. »
Après l’obtention du baccalauréat avec mention très bien, Albert intègre une classe préparatoire aux grandes écoles qu’il considère comme « une passerelle pour aller dans une école d’ingénieur » sur les traces d’un ancien étudiant du lycée qui a intégré Polytechnique.
Moins de 7 % des inscrits en licence
Ces cheminements atypiques attirent l’attention sur la présence et la réussite de bacheliers professionnels là où on ne les attend pas. Ils mettent au jour les stratégies déployées par des jeunes pour réaliser un projet d’étude en lien avec leur parcours de vie et leur capacité à résister au pouvoir d’orientation de l’institution scolaire, s’affirmant comme des acteurs de leur histoire scolaire.
La présence des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur peut paraître surprenante au vu de leur formation secondaire spécifique qui prépare plutôt un accès direct sur le marché du travail. Elle l’est moins dès lors que le regard se déplace sur leur projet personnel ou professionnel, leurs expériences scolaires, leurs loisirs extrascolaires et sur les fondements historiques de ce diplôme.
Créé en 1985 et devenu le deuxième baccalauréat de France en termes d’effectifs, le baccalauréat professionnel est présenté comme une formation organisée en vue de l’exercice d’un métier tout en permettant l’accès aux études supérieures. Actuellement, la moitié des élèves de terminale professionnelle souhaitent continuer des études. Toutefois, seulement le tiers des bacheliers professionnels accèdent à l’enseignement supérieur hors contrat d’apprentissage (contre 17 % en 2000), quand c’est le cas de la quasi-totalité des bacheliers généraux et des trois quarts des bacheliers technologiques. Ils optent le plus souvent pour une section de technicien supérieur (STS) et leur taux d’inscription dans l’enseignement supérieur a progressé essentiellement vers ces STS (25 % contre 10 % en 2000 hors apprentissage).
Depuis de nombreuses années en effet, ils représentent moins de 7 % des inscrits en licence à l’Université dans des formations variées : sciences humaines et sociales, langues, administration économique et sociale, droit, STAPS, lettres… rarement en institut universitaire de technologie.
Leur présence en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) se montre plus rare encore (0,1 % en 2020). L’admission en CPGE, filière post-baccalauréat particulièrement sélective en France, demeure l’apanage d’un cercle restreint de jeunes. Face à ce contexte, sur l’ensemble du territoire, six lycées proposent pour les bacheliers professionnels une CPGE en trois ans (trois classes scientifiques et trois économiques). Les jeunes rencontrés dans l’une de ces classes soulignent l’importance des compétences scolaires, mais aussi des ressources extrascolaires, des expériences du monde professionnel qui peuvent redonner sens aux études, et d’un projet qui exprime une ambition scolaire et/ou sociale.
Certains ont pu vivre une orientation imposée vers l’enseignement professionnel quand d’autres assument et revendiquent cette décision. Tous font de leur passage en lycée professionnel un temps de (re)construction d’un rapport favorable au savoir qui impulse une envie de rebond vers des études supérieures, dans une dynamique scolaire favorable confirmée par leur mention au baccalauréat. Selon leurs propres mots, cette CPGE constitue « une deuxième chance », « une opportunité », « un challenge », « un tremplin »…
Dynamique de projet
Les bacheliers professionnels inscrits en licence à l’université y sont rarement par hasard ou par défaut. Les STAPS par exemple représentent un espace qui permet de prolonger une expérience positive vécue à travers leurs loisirs, le sport. Le sentiment de réussite dans cette matière, conforté par une pratique extrascolaire compétitive, les amène à formuler une ambition d’études et un projet de rester dans le monde du sport.
En contraste avec une orientation plus ou moins contrainte vers le lycée professionnel, leur démarche vers l’université est volontariste et même offensive, faisant fi des découragements institutionnels. Ils s’inscrivent dans la formation universitaire des métiers du sport pour enraciner leur parcours dans une cohérence qui relie leur histoire familiale et sportive à leur projet de vie. Ils s’offrent aussi un rebond scolaire en s’appuyant sur une pratique sportive qu’ils considèrent comme un élément structurant de leur parcours et se projettent vers un travail passionné en lien avec le sport.
Les ressources accumulées en dehors de l’école, pour les bacheliers professionnels en STAPS, ou dans l’école, pour ceux inscrits en CPGE, leur capacité à se mettre dans une dynamique de projet et le soutien de leur famille dans cette ambition, peuvent expliquer ces orientations exceptionnelles. Ils ont bénéficié à un moment donné de leur histoire sportive ou scolaire d’une reconnaissance institutionnelle, par la compétition sportive et les notes, par l’encadrement sportif et/ou les enseignants qui les ont repérés.
Le bien-fondé de leur détermination à investir les cursus plus improbables de l’enseignement supérieur se trouve ainsi légitimé. Informés des difficultés, ils entreprennent des études longues : misant sur leur motivation, ces sentiers escarpés apparaissent comme un chemin prometteur pour réaliser un projet personnel et professionnel, à la recherche d’une cohérence entre leurs aspirations et les opportunités de jeu qu’offre l’institution à un moment donné. « Rien n’est impossible en fait… s’il y a la motivation derrière, tout le monde peut y arriver », selon Cristina.
S’ils sont peu nombreux à obtenir leur licence en trois ans, un passage à l’université se montre bénéfique en matière d’insertion professionnelle. Alors que la tendance en France est de valoriser les cursus scolaires linéaires et rapides et que les bacheliers professionnels connaissent des parcours marqués par des pauses et des bifurcations plus que les autres lycéens, ces diplômés invitent à (re)considérer l’importance des parcours de formations modulaires ainsi que le vivier de jeunes qui aspirent à d’autres perspectives professionnelles via des études supérieures.
Christine Guégnard, Chercheure en sciences de l’éducation, associée à l’IREDU (Institut de recherche sur l’éducation, sociologie et économie de l’éducation), Université de Bourgogne – UBFC et Carine Erard, Enseignante-chercheure à l’UFR STAPS – Faculté des Sciences du sport et membre de l’IREDU, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.