Qui sont les travailleurs français ? Dans quelles conditions travaillent-ils ? Comment se sentent-ils au travail ? Pour répondre à ces questions, nous avons analysé les données recueillies par la DARES, l’agence statistique du Ministère du Travail (enquête Conditions de travail), portant sur un échantillon représentatif de la population active occupée française.
Paola Tubaro, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Diviyan Kalainathan, Inria; Michèle Sebag, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Philippe Caillou, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
Un aperçu multidimensionnel du travail
L’enquête DARES que nous avons exploitée est très riche : elle comporte 516 questions posées à plus de 33 600 répondants. La première étape de notre travail a été de faire le tri entre les questions « objectives » (horaires, rémunération, exposition aux nuisances…) et « subjectives » (tensions avec les collègues ou la hiérarchie, sentiment d’être plus ou moins bien payé…), ces dernières constituant environ 20 % du total. Grâce à une analyse statistique dite [« en composantes principales », nous avons ensuite mis en évidence quelques dimensions essentielles des différentes situations (par exemple, le niveau de responsabilité, le lien avec les collègues), facilitant leur interprétation. La dernière phase de notre étude a consisté à identifier, à partir de ces dimensions, des profils d’actifs occupés.
Parmi les enseignements à retenir, on constate que la qualité de la relation hiérarchique conserve une importance primordiale dans le ressenti des travailleurs. Par ailleurs, certaines professions sont exposées à des niveaux de contraintes très élevés. Enfin, il s’avère que le sentiment de « bonheur au travail », très complexe, relève d’une multiplicité de dimensions tant sociologiques qu’économiques. Plus généralement, l’analyse de ces données montre que les dimensions objectives et subjectives de la qualité de vie au travail obéissent à des schémas très différents.
Travailleurs immigrés et accidentés du travail : des profils à part
Si l’on s’en tient aux conditions de travail objectives, huit profils types de travailleurs se dessinent. Le plus souvent, ils sont associés à un domaine d’activité ou un statut majoritaire : indépendants, Ouvrier, CSP+ privé, CSP+ public, services peu qualifiés, santé.
On constate toutefois deux exceptions notables. D’une part, de nombreux actifs ayant un lien récent avec l’immigration se rapprochent quel que soit leur domaine d’activité, et émergent comme un profil en tant que tel. D’autre part, les actifs déclarant avoir subi un ou plusieurs accidents du travail (accidentés) constituent un profil spécifique.
Chaque profil objectif correspond en général à un compromis entre différentes dimensions de la qualité de vie au travail (conflits de valeur, reconnaissance, autonomie, contraintes physiques…). On éprouve par exemple la satisfaction d’être indépendant au prix d’un lourd volume de travail, on bénéficie de l’autonomie d’un statut-cadre au prix d’un surcroît de stress au travail, on cumule rarement des conditions physiques pénibles et des horaires lourds.
Un travailleur sur cinq a des conditions de travail difficiles
L’analyse des conditions de travail objectives révèle que deux profils ont un niveau général de qualité de vie assez mauvais, voire préoccupant : les professionnels de la santé et les accidentés du travail. Or ces deux profils représentent un cinquième de la population enquêtée.
Les professionnels de la santé subissent des exigences émotionnelles et des contraintes très supérieures aux autres profils : travail de nuit ou le week-end, exposition fréquente à la maladie et à la mort. Les accidentés du travail sont soumis à de très fortes contraintes physiques, et font état de conflits de valeur, une forte intensité de travail et une faible autonomie.
L’analyse des données de la DARES révèle par ailleurs un fait surprenant : les travailleurs du profil CSP+ Public, tout en étant plus diplômés et mieux payés que la moyenne des actifs occupés, échappent en grande partie à la médecine du travail. Alors qu’ils sont souvent confrontés à des personnes en situation de détresse (pour 70 % des individus du groupe) et doivent souvent calmer des gens (74 %), ils sont 21 % à ne pas avoir vu de médecin du travail depuis au moins 5 ans, et 12 % à n’en avoir jamais vu (contre des proportions respectivement trois et deux fois moindres pour la population totale).
Le ressenti subjectif dépend des relations avec la hiérarchie
Si l’on s’intéresse non plus aux conditions de travail objectives, mais plutôt au ressenti par rapport au travail, six nouveaux profils d’actifs se dessinent. Contrairement aux profils objectifs, ces profils subjectifs peuvent être ordonnés selon leur qualité de vie, depuis les Heureux, qui ont les scores les plus élevés sur toutes les dimensions (en particulier, 72 % d’entre eux sont fiers de leur entreprise et 83 % partagent le sentiment de ne pas être exploités), en passant par les rien à signaler, jusqu’à deux groupes d’actifs stressés – tensions hiérarchie et tensions collègues. Ces tensions relèvent principalement des relations interpersonnelles (recevoir systématiquement des critiques, se sentir ignoré…).
À mi-chemin entre ces deux extrêmes, le groupe changements réunit des travailleurs ayant connu un changement de poste ou d’organisation du travail, une restructuration, un déménagement, un rachat ou encore un changement de direction. Dans un cas sur deux, ils n’ont pas été consultés. Les cadres de la fonction publique sont les plus concernés par ces changements, avant les ingénieurs, cadres et commerciaux d’entreprise.
Fait intéressant à souligner : lorsqu’il existe des tensions sur le lieu de travail, le bien-être individuel dépend avant tout des relations avec la hiérarchie. Si celles-ci sont bonnes, les tensions avec les collègues n’ont qu’un faible impact négatif sur le bien-être individuel (calculé selon un indice élaboré par l’Organisation mondiale de la santé). En revanche, les tensions avec la hiérarchie sont associées à un fort décrochage de cet indice.
Le « bonheur au travail », une notion complexe
En confrontant les profils objectifs et subjectifs, on constate une corrélation très nette entre la catégorie objective des accidentés et les catégories subjectives tensions hiérarchie et tensions collègues. Cette corrélation constitue un indicateur des difficultés de réinsertion professionnelle après un accident de travail. Ces difficultés sont d’autant plus inquiétantes qu’aux dires des répondants, presque la moitié de ces accidents ne sont ni reconnus ni indemnisés par la sécurité sociale.
Le croisement des profils objectifs et subjectifs fait aussi apparaître un résultat à première vue surprenant : les actifs travaillant en tant qu’ouvriers, dans les services peu qualifiés ou issus d’une immigration récente sont ceux parmi lesquels la proportion d’« heureux » est la plus forte, alors que les cadres du public et du privé sont moins enthousiastes. Mais les catégorisations du « bonheur » doivent prendre en compte les facteurs contextuels, économiques et sociétaux, qui façonnent les attentes et les repères des individus. Ainsi, une explication possible est que les ouvriers, les personnes peu qualifiées et les immigrés, plus exposés au risque de chômage, tirent du simple fait d’avoir un emploi une source de satisfaction potentiellement plus grande que les actifs des autres catégories.
Un autre résultat qui pourrait paraître inattendu est que les Heureux sont légèrement moins bien payés que la moyenne de la population totale (1 753 euros nets mensuels contre 1 877 euros), alors que 57 % d’entre eux se considèrent bien ou très bien payés. En général, la proportion d’Heureux augmente très fortement avec la perception d’être bien payé. C’est l’inverse pour les individus appartenant au profil Tensions hiérarchie, qui sont 51 % à se considérer mal voire très mal payés. L’argent ne fait pas le bonheur au travail, mais le sentiment d’être bien payé y contribue… Nous retrouvons ainsi des résultats essentiels de la recherche sur les liens, complexes et non linéaires, entre bonheur et richesse.
Autonomie et qualité de vie au travail
Il est souvent admis que l’autonomie est une source de valorisation et d’estime de soi pour le travailleur. Globalement, elle est d’abord déterminée par le statut de l’individu, cadre ou non-cadre. À l’intérieur de ces deux catégories, on observe une corrélation, significative et positive, entre l’autonomie et une perception positive de sa qualité de vie au travail. Mais l’analyse des données montre qu’il ne s’agit pas d’une relation simple : les « heureux » au travail ne sont pas les plus autonomes, et les plus autonomes ne sont pas les plus heureux. Il semble qu’au-delà d’un certain seuil, l’autonomie au travail s’accompagnerait d’une pression ou d’une insécurité compensant ses effets positifs. Faire évoluer les entreprises vers plus d’autonomie ne doit donc pas signifier livrer le travailleur à soi-même et le rendre responsable de tout.
Concluons en notant qu’une limite de l’enquête de la DARES est qu’un grand nombre de questions subjectives portent sur les relations avec les collègues et la hiérarchie, qui ne s’appliquent donc pas à la catégorie des Indépendants. Le ressenti et le bien-être au travail de cette population, très hétérogène, restent difficiles à cerner. Les indépendants pourraient pourtant faire état d’autres types de tensions, par exemple dans le cadre de relations de partenariat ou de sous-traitance, encore relativement mal connues.
Pour en savoir plus :
D. Kalainathan, O. Goudet, P. Caillou, M. Sebag, P. Tubaro, E. Bourdu , T. Weil (2017). « Portraits de travailleurs : Comprendre la qualité de vie au travail », Paris, Presses des Mines.
D. Kalainathan, O. Goudet, P. Caillou, M. Sebag , P. Tubaro (2017). « Conditions objectives de travail et ressenti des individus : le rôle du management », Les Synthèses de La Fabrique, numéro 14, juillet.
Paola Tubaro, Chargée de recherche au LRI, Laboratoire de Recherche Informatique du CNRS. Enseignante à l’ENS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Diviyan Kalainathan, Doctorant en Informatique et apprentissage automatique, Inria; Michèle Sebag, Directrice adjointe, Laboratoire de Recherche en Informatique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Philippe Caillou, Maitre de Conférences en informatique, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Le bonheur au travail n’existe pas.
La question ne doit pas être posé aux personnes qui sont dans la course aux rats, la tête dans le guidon ,nourries par les croyances enseignées dans les établissements scolaires, aux personnes en train de travailler sans fin, sans aucun but précis, si ce n’ai celui que d’être un simple produit de consommation (et oui! regardez ce que vous rapporter et contempler ce qu’il vous reste en fin de mois une fois que tous le monde s’est servi).
La question du bonheur au travail est à poser aux personnes atteignant des âges plus avancés tel que la 60 ène, des personnes ayant pris conscience qu’ils sont passé à coté de leur vie, qu’ils ont passé leurs plus belles années à enrichir beaucoup de société cherchant uniquement le profit, qu’il aurait pu passer plus de moments auprès de leur famille,de leurs amis et qu’ils ont gaspillé la chose la plus chère et la plus importante pour tout être vivant ,leur temps…
Le bonheur au travail n’existe pas dans le salariat qui n’a qu’un seul et unique but, c’est celui de perdre son temps à gagner sa vie…
Le seul bonheur au travail qui existe , c’est celui qui réside dans le fait de vivre de ses passions , vivre ses propres rêves, apporter un rayon de soleil dans la vie d’autrui, avec un sentiment certain de s’épanouir et de se réaliser, car le sentiment le plus regretté pour la plupart des personnes étant sur leur lit de mort, c’est celui qui se trouve tout en haut de la pyramide de Maslow. Gary