Agriculture : les femmes assurent. Il y a des places à prendre !

« Grâce à ces deux immersions, j’ai pris la mesure de ce que vivent les femmes du milieu agricole, alors qu’elles sont toujours plus nombreuses à se lancer » raconte Yves Deloison, journaliste, auteur et réalisateur de podcasts, et plume de ViveS et passionné du monde rural et agricole, dans la newsletter ViveS media.

Je voue une passion à la vie rurale et au monde agricole. Au point d’y vivre et d’en faire un objet de travail. Ainsi, j’ai suivi Stéphanie Maubé durant des mois afin d’écrire un livre avec elle. J’ai partagé le quotidien de cette éleveuse d’agneaux de prés-salés de la baie du Mont-Saint-Michel, installée dans le Cotentin. J’ai interrogé son engagement et son statut de néo-paysanne. En 2020, j’ai passé une année auprès de Coralie, 18 ans, apprentie fermière en BTSA (brevet de technicien supérieur agricole), dans le cadre d’un documentaire sonore réalisé pour ARTE Radio. Quand je me suis mis dans ses pas, j’ai constaté le degré de souffrance de cette jeune fille qui rêve de reprendre la ferme que son père destinait au fils qu’il n’a pas eu. Grâce à ces deux immersions, j’ai pris la mesure de ce que vivent les femmes du milieu agricole, alors qu’elles sont toujours plus nombreuses à se lancer. En 2020, la MSA (Mutualité sociale agricole) a comptabilisé 106 000 cheffes d’exploitation et 17 700 collaboratrices. Un chef d’exploitation sur quatre est de fait une cheffe.

Femmes agricultrices : longtemps ignorées, encore déconsidérées

Évidemment, le secteur reste très marqué par les stéréotypes sexistes véhiculés à tous les échelons de la société. Dans le milieu rural, ils sont légion. Si pour décrire Stéphanie, beaucoup de médias convoquent la mystique de la jeune fille au regard candide qui gambade pieds nus au milieu de ses brebis, Le Point la qualifie de « “Marie-Antoinette”, une bergère aux allures de jolie princesse dont le carrosse s’est arrêté au cœur des prés-salés ». Ces images grossières et caricaturales, qui ne rendent pas compte de sa réalité de « responsable d’exploitation agricole », continuent de peser sur le monde paysan, encore régi par une hiérarchie de valeurs qui penche toujours en faveur des hommes et une division des tâches genrée. À eux le tracteur, la mécanique, les responsabilités. À elles l’administratif, la vente, la transformation, les tâches ménagères.

Il faut pourtant se souvenir qu’autrefois, nombre des petites fermes étaient exclusivement gérées par des femmes. Elles assumaient les responsabilités tout en assurant leurs activités ménagères. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’on a contraint les exploitations à se spécialiser. En conséquence, beaucoup d’entre elles ont perdu leur rôle pivot. Elles ont continué à travailler à la ferme, confrontées comme les hommes aux risques professionnels, à la pénibilité physique, aux astreintes, à la polyvalence et au temps de travail important, mais sans statut, considérées comme « ayant droit du conjoint », droit de rien hormis de s’esquinter à la tâche.

La filière agricole se féminise et se renouvelle en profondeur

Mais ces travailleuses invisibles, sans compétence technique reconnue, vont voir leur situation évoluer. En 1985, la loi a d’abord permis à un couple de s’associer via l’EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) puis cinq ans plus tard, d’adopter le statut de « conjoint collaborateur ». En 2006, la couverture sociale a été étendue aux conjointes d’exploitants et en 2011, le GAEC entre époux a été instauré.

En près de cinq décennies, l’évolution est considérable. Un sondage réalisé par BVA pour le Crédit Agricole, publié en mars 2022, montre que les agricultrices françaises représentent près d’un tiers des moins de 40 ans en activité, contre un quart tous âges confondus. En moyenne, les agricultrices sont âgées de plus de 40 ans, mariées, mères de deux ou trois enfants, de formation générale supérieure. 82 % sont originaires d’une famille d’agriculteurs et 9 % d’origine citadine. Près des trois-quarts ont exercé une autre activité professionnelle avant de s’installer et pour la moitié, sans aucun lien avec l’agriculture. Le signe d’une évolution du métier vers des profils plus variés, enrichis d’autres expériences.

En 2020-2021, les femmes représentent près de la moitié des effectifs des filières d’enseignement agricole contre 41 % en 1995 et moins de 10 % une quarantaine d’années plus tôt.
Cependant, toujours dans l’enseignement agricole, le choix des filières reste genré : dans la filière des services aux personnes et aux territoires (SAPAT), 77 % des sont des femmes; mais dans la production agricole, elles ne sont plus que 39 % des effectifs. Selon la MSA, une fois installées, elles forment près de la moitié des bataillons des filières d’élevage hors bovins, chevaux, entraînement, dressage, haras, clubs hippiques et élevage de gros animaux. A contrario, elles ne représentent que 1,6 % des effectifs des exploitations de bois, 3,9 % des entreprises paysagistes, moins de 10 % des entreprises de travaux agricoles. Surprise : en arboriculture ou en maraîchage, le taux de reprise et de création d’activité par des femmes monte à 66 %.

La confiance grandit, malgré des salaires encore inférieurs et le besoin de se justifier

L’enquête BVA révèle que les agricultrices, dans leur grande majorité, se sentent reconnues par leurs homologues masculins et par le grand public. Néanmoins, on ne gomme pas des siècles de patriarcat si facilement. Je le soulignais, la répartition stéréotypée des tâches perdure. Côté conciliation vie privée et vie professionnelle, près des trois-quarts d’entre elles affirment y parvenir tout à fait ou plutôt bien. Pose-t-on la question aux hommes ? Autre enseignement, le revenu annuel moyen d’une agricultrice est inférieur de 30 % à celui des hommes, l’écart étant encore plus marqué que pour l’ensemble des actifs. Il plafonne à 9 679 euros contre 13 658 euros pour eux (chiffre MSA 2017).

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DES DISPOSITIFS POUR DEVENIR AGRICULTRICE

Groupes de femmes du réseau CIVAM
Espaces-tests du réseau Reneta 
Terre de Liens

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